Pirates et déconfiture

Le bruit de galop et les cris alertèrent immédiamment le Shah et la Khâdin. Les deux paladins qui déboulaient dans la maison expliquaient tous les deux la même histoire mais à un rythme et dans une excitation tels que la confusion était totale. Mystiruis les invita au calme, suite à quoi le jeune soldat finit par laisser parler sa soeur, laquelle parvint à exprimer en termes concis et efficaces que des individus louches s'en étaient pris au sage Ralek et menaçaient une guerrière amie de l'Ordre.

La prêtresse esquissa un sourire : celui qui s'en prendrait à la guerrière avait intérêt d'avoir les reins solides s'il ne voulait pas mordre la poussière. Les fois où on l'avait vue à terre se comptaient sur les doigts d'une main et les pires monstres des donjons lointains de Draenor n'avaient pas eu raison d'elle. Alors trois freluquets... Le Shah, lui, était presque tenté de la laisser gérer seule la situation, mais c'eut été probablement faire preuve d'excès de confiance et quoi qu'il en soit leur amie aurait probablement apprécié de se sentir soutenue dans l'épreuve. Et puis si Ralek était réellement détenu, il était hors de question que ce crime reste impuni. Le plus drôle c'est que l'intéressé restait en contact avec le reste de l'Ordre, révélant un parfait travail d'amateur. On allait faire un exemple cuisant ; il prierait ensuite la Lumière au retour de leur accorder une telle chance.

Ils eurent vite fait de trouver les intéressés en grande discussion avec la guerrière. L'un d'eux semblait assez riche mais guère dangereux, un autre ressemblait fort à la description d'un pirate qui s'était déjà trop approché du démoniste au point de se prendre un bisou sur l'oeil, punition bien maigre pour le mécréant qui n'avait apparemment pas l'intelligence de se tenir désormais à distance. Le troisième semblait plus réservé et plus prudent, donc potentiellement plus dangereux. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien faire ici ? Ils évoquaient la possibilité de garder Ralek deux jours : il n'en était même pas question. Le démoniste leur donna une heure, pas une minute de plus, pour leur rendre leur homme. Les compensations seraient discutées ultérieurement. Pour gage, le démoniste posa une malédiction funeste sur celui qui avait l'allure d'un marchand, sous protection de la Lumière sacrée de son aimée. Les autres commirent l'erreur fatale : dans leur panique de débutants deux d'entre eux tirèrent des coups de feu qui ne manquèrent pas d'alerter les Cogneurs.

Le dernier, celui habillé en clair et probablement pas armé, babillait comme un singe en espérant sans doute distraire la concentration de Tsion'hebb, tout à son compte à rebours. Il perdait un temps précieux et ne semblait même pas avoir la lucidité de s'en aperçevoir. Ou bien il n'avait pas encore mesuré le caractère inéluctable de l'ultimatum par lequel le démoniste avait effacé leurs petites menaces gamines. Fallait-il avoir un esprit faible...

Mystiruis reçut l'un coup de feu. Par chance l'individu irrespecteux disposait d'une arme qui avait la puissance d'impact d'une plume légère et le coup n'eut guère plus d'effet qu'une boule de papier, complètement éteinte par les ombres de la prêtresse et sa robe de combat d'un autre monde. Néanmoins le démoniste se hâta de la couvrir de sa protection de lumière sur laquelle un autre coup de feu venait de s'écraser. La guerrière, abandonnée derrière eux - sainte lumière qu'ils étaient brouillons - envoya le premier tireur voler à dix pas dans un nuage de poussière d'un revers de bouclier presque négligent. Les Cogneurs firent le reste : dans une nuée de coups impressionnante ils s'abattirent sur le trio avec une rage qu'on aurait cru décuplée par une trop longue attente. Les compères, déconfits et passablement abîmés furent trainés hors de portée et sans doute jetés dans un cul de basse-fosse où ils croupiraient le temps nécessaire à une indispensable méditation sur leurs actes.

- "Toutes nos excuses maître démoniste. J'espère que vous n'aurez pas subi d'inconvénient ? Ca fera douze argents et vingt cuivres pour l'intervention."

Le démoniste partit à rire et paya de bon coeur pour le spectacle de la bande éparpillée. Dommage pour celui qui subirait une grave névralgie dont le démoniste espérait qu'elle ne l'emmènerait pas jusqu'à la mort. C'était peu probable sauf s'il avait un souci de santé, ce qui n'était pas rare dans cette population marginale à laquelle il semblait appartenir quand bien même il se serait habillé dans des frusques de grand prix. Du bout des doigts Merika ramassa la pétoire à manche en ivoire de jeune kodo incrusté d'or ainsi que le bout de lame de celui qui avait tenté de percer son armure, ce face à quoi elle avait peiné à contenir son hilarité.

- "Vont-ils être exilés ?" interrogea le démoniste.
- "Oh non ! Le temps c'est de l'argent ! L'exil est mauvais pour les affaires !"
- "Ils détiennent néanmoins un de nos hommes."
- "Ah oui ? Vous savez où ?"
- "Dans leur navire probablement, au mouillage quelque part."

Le Gobelin afficha un rictus qui en disait long sur sa jubilation. La localisation prit moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et en un tournemain le navire fut dépiauté de son accastillage. Le démontage se fit à une telle vitesse qu'on aurait pu craindre qu'il ne s'engage trop loin près de la ligne de flottaison avant même d'atteindre la cale sèche. Ralek fut ramené par une navette surchargée de babioles diverses. Les membres d'équipage, eux, avaient intérêt à savoir nager.

- "Avec toutes nos excuses pour le dérangement. Ca fera huit argents pour le transport sanitaire." ricana le capitaine du port.

Le démoniste ne chercha même pas à négocier et accueillit Ralek avec un visible soulagement avant que sa bien-aimée ne se charge de lui prodiguer les premiers secours. Les pirates sauraient désormais qu'il ne fallait pas marcher sur les plates-bandes de la Lumière Aveugle.