[Shivalah] Une lame bien étrange

Deux jours déjà que le démoniste avait déposé le katar au secret dans un coffret garni de serrures dissimulées. Il ne nécessitait qu'une seule clé mais celle-ci s'utilisait de tant de façons différentes (et pourtant simples) que l'ouverture tenait plus du casse-tête que du crochetage ou du déverrouillage, tant pour l'utilisateur habituel que pour un éventuel indiscret.

Avec précautions il souleva l'arme dans son enveloppe de tissu runique avant de la déposer avec précautions sur la grande table de marbre poli. L'examen à la lumière blanche révélait des runes, mais sans doute pas de nature magique, plutôt une langue dont il n'aurait pas entendu parler ; de quoi ravir ce nain rencontré au sud de Silithius et qui se vantait de maîtriser tant de dialectes. Saisissant un papier de qualité et une plume fine, Tsion'hebb prit le temps de reproduire avec la plus grande fidélité ces gravures intrigantes, face après face. Ceci fait, il s'empara d'une baguette d'ébonite et remua dans son mortier d'obsidienne une poudre sombre aux reflets brillants, en saisit une pincée entre ses doigts et la déversa soigneusement sur la double lame.

La révélation fut immédiate ! La pulsation était très nette : l'arme brillait d'une puissante aura magique ainsi qu'il l'avait soupçonné. A vrai dire... il en avait rarement vues d'aussi magnifiques. Elle s'étalait en vastes iridescences qui illuminaient le marbre froid de leur vie rampante au point qu'on aurait presque craint de saisir de nouveau la manche finement ciselé.

Ceci laissait songeur par rapport à la version de Rand le pirate. D'après lui il aurait acquis cette arme auprès d'un pirate gobelin, capitaine du Castet, un navire qui fréquentait les côtes de Strangleronce. Mais Tsion'hebb connaissait bien les Gobelins et ce n'était pas leur habitude que de laisser échapper une arme de ce calibre sans faire tout ce qui était en leur pouvoir pour remettre la main dessus. Plus cupide qu'un Gobelin... la mort était proche. Ou bien il ne s'agissait pas du Cartel mais de la KapitalRisk ? Ou encore.... était-ce donc volontaire ? Dans quoi la Lumière Aveugle avait-elle mis les pieds ?

Avec un pinceau fin il épousseta le révélateur, débarrassa l'étoffe runique des résidus de poussière et referma soigneusement chaque pan avant de ranger de nouveau l'arme dans son coffre. La reproduction fut soigneusement roulée et glissée dans un étui à parchemin qu'il scella à la cire avant de l'accrocher dans les profondeurs de sa robe. La route serait longue jusqu'à Silithius. Ca tombait bien, il avait d'autres petites choses à soumettre à l'érudit.

Rutgar Formeglyphe et son chapeau mou essayaient de se battre contre le vent qui soulevait des nuages de sable. Le nain pestait : la tente commençait à devenir vieille, rapiécée dans tous les sens, elle ressemblait plus à une couverture usagée qu’à une toile digne de ce nom.
Enfin, il réussit à consolider la dernière attache. La tempête serait sur le campement d’ici quelques minutes ; déjà le ciel se couvrait, obscurcissant le soleil. Les tourbillons en furie soulevaient tant de masse que voir à plus de quelques mètres était un don du ciel. C’est pourquoi le nain fut abasourdi de voir la silhouette d’un cavalier sur le chemin. Drapé d’un grand manteau et d’un cheich qui lui protégeait le visage, il avançait presque sereinement, comme habitué à ce déchainement de la nature. Ce n'était pas le cas de l'autre mouture, un pas en arrière, qui, elle, semblait vraiment lutter, au moins autant que sa cavalière.

Une heure plus tard, bien à l’abri de la tempête, Rutgar, Tsion'hebb et Mystiruis buvaient un thé chaud. La lueur vacillante de deux lanternes éclairait la tente dont les pans ondulaient au rythme du vent. Le nain avait chaussé ses lunettes et examinait minutieusement les lettres patiemment recopiées sous le regard sombre de l’homme à la peau matte et de sa compagne.

"Croyez moi l'ami, j'ai bourlingué sur les deux continents, des plus hautes montagnes enneigées du Berceau de l’Hiver aux cales des navires enfouis sous la mer des côtes de Strangleronce et pourtant, je n'ai jamais rien vu qui ressemble à cette écriture. Et je suis prêt à parier qu’un érudit draenei vous dirait la même chose !"