Retour de concile

Mystiruis fixait son regard vers l’horizon, son regard était aussi glacé que les neiges de la couronne de glace : la colère courait dans ses veines.

Le matin même, ils avaient été réveillés par les hurlements de colère de leur capitaine d’armes. Des intrus avaient osé s’infiltrer dans la propriété, emportant sans vergogne de nombreux objets. Rageuse, les ordres avaient fusé. La colère de la maîtresse des lieux était palpable. Un inventaire précis fut dressé pièce par pièce. Le sort de la garde de nuit en aurait fait pâlir plus d’un. Ici, entre ces murs, nul doute du sort qui les attendait. Tsion’Hebb restait immobile sur le perron, aussi silencieux qu’une tombe. Il attendait. Sur son ordre, le chat à neuf queues faisait son office sur le dos des deux punis. Il s’abattait, marquant dans les chairs autant que dans les esprits le coût du manquement au devoir.

- Mon Ange, je veux leur tête

La voix claire de la haute prêtresse avait résonné dans la cour, faisant pâlir un peu plus les deux hommes. Elle sourit devant leur inquiétude, satisfaite du résultat. Bien sur elle ne voulait pas la leur mais celle des impudents qui avaient osé violer ses lieux. Mais le doute, un instant entretenu, ne pouvait pas nuire.

- Suffit ! Qu’on les libère et qu'on les soigne. Je statuerai sur leur avenir plus tard.

L’ordre du Maître des lieux de mettre fin à la punition brisa la lourdeur du moment. Tout le monde reprit son souffle.



Plus tard, sur le quai, les mains enfouies dans l’épaisse crinière de Satan, elle retrouvait un semblant de calme. L’étalon noir avait souvent un effet catalyseur sur la cavalière. Une légende disait que les chevaliers du passé se réincarnait en splendides chevaux et Mystiruis ne pouvait que le croire. Quand il sentit le calme revenir dans les veines de sa propriétaire il reprit le chemin du manoir d'un pas souple, frappant le pavé avec souplesse et énergie comme pour la divertir de ses pensées moribondes.

Ses enfants allaient bien, ils ne semblaient s’être rendu compte de rien. S’ils avaient osé touché à un cheveu de leur tête… Elle avait trouvé un peu de sang sur la fourrure de Neige, peut-être avait-elle mordu un des voleurs. Il faudrait le vérifier. Les tableaux et les bibelots avaient une valeur modérée et les monte-en-l'air n’avaient sans doute pas réussi à passer les protections arcaniques des bureaux et laboratoires. Ou alors ils n'en avaient pas pris le risque, tout simplement.

- Dommage .. ces lâches auraient eu de belles surprises.

Et en même temps… il y avait eu ce concile. Elle pouvait bien l’admettre maintenant, elle l’avait un peu appréhendé. Longtemps la Lumière Aveugle s’était occupé uniquement de ses affaires menant les combats qu’elle pouvait. La, cette fois, il s’agissait de toute autre chose. Les Hospitaliers avaient réussi à les conduire dans cette cathédrale tout comme ils avaient réussi un tour de force en réunissant de nombreux ordres ô combien différents. Tous unis dans un même but : combattre le Fléau dans les terres du Nord, ensemble , main dans la main, au nom de la Sainte Lumière.. Elle sourit, de ce sourire mi-figue mi-raisin qui la caractérisait si bien.

- Évidemment qu'on combattra ensemble, nul doute ! Mais combien de temps sans se manger le nez ? Des loups entre eux , le sort était indubitablement scellé. Il ne fallait pas être grand clerc. Mais si nous pouvions faire un maximum de pertes au Fléau cela sera déjà de pris. Qui regardera à la perte de quelques idôlatres ou animistes trolls ou orcs à l'esprit aussi corrompu que leurs rites impies au coeur de la mêlée ? Oh ! Pas gratuitement, juste ceux qui tendraient à remettre en cause le bon ordre des choses.

La Lumière Aveugle s’était vu confié la lourde tache d’investigation, d’interrogatoire et autres faits du même genre en collaboration avec la garde de Hurlevent. Tsion'hebb avait repris les termes de l'accord passé avec le défunt commandeur : La Lumière Aveugle serait "le Glaive de la Justice au bout de son bras armé". Manquait peut-être à cette définition une dimension spirituelle, et encore. Son diable d’homme était redoutable dans le domaine et elle frémit en songeant au sort des malheureux qui passeraient entre ses mains.

Et puis elle sourit, un sourire plein de tendresse en songeant que bientôt elle serait son épouse. Elle l’était de cœur depuis si longtemps, elle le serait devant les hommes très bientôt. Pourtant son coeur se serra. La froideur de son propre père à leur égard, ce père qu'elle adorait, sans doute retrouvé trop tard ; trop de choses les séparaient, trop de morts, trop de guerres, trop de rancoeurs... trop de tout.

Satan s'arrêta en piaffant et hennit doucement, tirant Myst de ses songes. Des bruits familiers la firent revenir à la réalité. Son diable d'homme s'avançait et lui tendait les bras pour l'aider à mettre pied à terre